Ecrivaine, réalisatrice, France Ortelli s’intéresse de près à la société et à certaines de ses populations ou communautés qui se sentent parfois en marge. Après plusieurs documentaires, son dernier ouvrage « Nos Cœurs Sauvages » est né d’une enquête de plusieurs années afin de mieux comprendre l’augmentation du nombre de célibataires dans le monde, et l’évolution de la vision de l’amour et de la recherche de l’âme sœur dans notre société moderne.

Bonjour France. Tu t’intéresses beaucoup au sujet de l’amour, des relations amoureuses et des célibataires, à travers un certain nombre de reportages ou publications. Pourquoi ces sujets te passionnent-ils autant ?

Ce que j’aime c’est que quand on étudie la vie intime des gens, on peut faire une analyse de la société beaucoup plus forte qu’en regardant des tendances globales. L’individu et ses rapports amoureux nous apprennent énormément. Le sujet du célibat aujourd’hui peut aussi nous ouvrir des portes, des réflexions sur notre société économique mais aussi philosophiques.

On parle de plus en plus de célibat positif, qu’on essaie même de rendre glamour. Mais le mot célibataire garde encore une certaine connotation péjorative aux yeux de beaucoup. Tu clamais d’ailleurs dans une vidéo que le célibat n’est pas une anomalie, et que tu n’aimais pas ce mot. Penses-tu qu’on est encore loin d’une plus grande acceptation sociale du statut de célibataire. Que faudrait-il encore faire ?

Pour moi on en est encore très loin oui, surtout en France où le couple est encore traditionnellement très ancré – le couple c’est « 1 » et le célibat c’est « 0 ». C’est un peu binaire.

En fait on se rend compte qu’être célibataire aujourd’hui ce n’est pas du tout la même définition que nos parents, grands-parents ou arrières grands-parents avaient de ce mot-là, puisqu’à l’époque le mariage était « obligatoire ». Toutes les personnes qui ne s’étaient pas mariées devenaient célibataires par défaut. Aujourd’hui on n’est plus célibataire par défaut puisqu’on choisit nous-même d’avoir des périodes plus longues avant de s’engager. Entre 20 et 35 ans je pense d’ailleurs qu’on ne peut même pas parler de célibat, il faudrait trouver un autre mot. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait aux États-Unis, ils n’appellent plus les gens « single », mais « solo », pour arrêter une certaine forme de discrimination.

Être célibataire était donc vu comme un échec alors que ce n’était déjà pas forcément le cas.

Exactement. Aujourd’hui il y a énormément de gens qui ne sont pas mariés, mais c’est devenu la norme dans cette tranche d’âge. Sans parler des gens qui divorcent aussi beaucoup plus, à peu près un couple sur deux. Donc à un moment donné de notre vie, on va forcément être célibataire.
C’est pour ça que je n’aime pas ce mot, et que quand j’ai écrit mon livre j’ai appelé ça « nos cœurs sauvages », car je préfère le mot sauvage. Il a à la fois un côté positif et négatif. Être seul peut être pénible, mais c’est aussi une liberté qu’il faut savoir prendre, pour ne pas subir la situation.

Comment faire pour ôter cette pression immense qui pèse souvent sur les célibataires, en termes de norme ou d’acceptation ? Que faudrait-il faire justement pour changer cette vision négative qui reste encore assez prégnante aujourd’hui ?

On parle d’« empowerment célibataire » aujourd’hui. Mais c’est toujours un peu difficile de dire aux gens que c’est génial d’aller faire du yoga tout seul.
On parle aussi de cette autonomisation parce que c’est intéressant économiquement, d’avoir plus de mono-foyers qui consomment plus. C’est même une aubaine quand on voit toutes les portions et mono-portions dans les supermarchés, qui coutent deux fois plus cher. Il y a donc aussi un côté un peu cynique, consumériste derrière ce terme.

Je pense que la solution est d’essayer de ne pas vivre ou se sentir comme quelqu’un d’incomplet ou de remplaçable parce qu’on n’est pas avec une autre personne. C’est un sentiment qui est très fort aujourd’hui dans la société, notamment dans le monde du travail où on fait tout pour vous faire sentir remplaçable.
C’est pareil avec l’amour aujourd’hui. Quand on a des relations courtes, notamment si on a pas forcément envie de s’engager, et on a ce sentiment un peu triste d’être remplaçable. Il faut absolument lutter contre cette sensation. Et pour ça il faut se réaliser.

C’est très américain de dire cela, mais je pense qu’il faut avoir des passions, des goûts personnels dans lesquels on se sent fort et où on excelle. Tu peux faire du dessin par exemple, mais ça ne veut pas forcément dire de monter une galerie ! C’est souvent le problème aujourd’hui, quand on a des passions il faut tout de suite que ça ait une dimension de réussite. Mais la réussite on s’en fout. Il faut juste aimer faire quelque chose de différent et s’y accomplir. Il faut apprivoiser ses envies et les réaliser pleinement.

Aujourd'hui la société fait tout pour qu'on se sente remplaçable.

Peinture
"Aimer faire quelque chose de différent et s'y accomplir est important."

Il faut effectivement déjà être en accord avec soi-même, et ne pas voir l’autre comme une autre moitié indispensable à son accomplissement.

J’ai un ami qui disait toujours, l’amour c’est la cerise sur le gâteau. Mais avant d’avoir la cerise il faut déjà faire le gâteau.

Penses-tu que les médias et notamment les reality-shows où des personnes doivent absolument trouver l’amour, ont une influence négative et entraînent d’autres effets pervers, accentuant cette pression que l’on met aux célibataires ?

Cela participe en tout cas à montrer que le couple est la fin en soi, ce qui n’est pas forcément le cas. D’ailleurs tous ceux qui sont en couple vous diront que ce n’est pas si facile que ça.

Pendant très longtemps le mariage a été une fin en soi surtout pour les femmes, qui étaient un peu pointées du doigt si elles ne s’étaient pas « réalisées » dans le cadre du mariage.
Le problème de ces émissions de télé-réalité c’est la même chose, puisque le but de l’émission est de ressortir maqué à la fin.

Dans ces émissions de télé-réalité je n’aime pas non plus qu’on force les gens à copuler tout le temps. Le sexe devient un spectacle, alors que cela doit être quelque chose d’intime.

Il est donc important de voir toutes ces choses d’un œil détaché, et ne pas non plus se comparer aux autres, ce qui est le piège dans lequel beaucoup tombent souvent.

Il est vrai qu’être seul et faire tout tout seul peut être difficile. Pour ma part je suis très solitaire donc ça ne me dérange pas. Mais il faut apprivoiser cette part de solitude qu’on a en nous.

Il faut apprivoiser cette part de solitude qu'on a en nous.

Personne seule comtemplant l'océan

Avoir un caractère solitaire peut en effet aider à mieux vivre le célibat. As-tu une idée du ratio entre célibat subi et célibat assumé dans la société ?

Il y a je crois entre 75 et 80% des français qui souhaitent être en couple sur le long terme. Cela fait donc 3 personnes sur 4 pour qui le célibat sera plus ou moins subi.

Mais il y a aussi la question de la durée. Si c’est juste pour 3 mois, le célibat sera moins subi, notamment juste après une rupture. Si cela fait 8 ans, ce n’est pas la même chose.
Il existe d’ailleurs maintenant une nouvelle donnée très intéressante qui s’appelle le « célibat définitif ». Les personnes de plus de 40 ans et qui n’ont pas été en couple depuis longtemps, qui ne sont pas déclarées pacsées ou autre, sont déclarées célibataires définitifs pour la société. L’INSEE et tous les instituts de sondage ont cette mesure dans leurs données. Mais c’est un peu triste et horrible comme définition, car rien n’est jamais définitif.

Dans ton livre tu parles des États-Unis, où les célibataires sont devenus majoritaires depuis 2014. En Chine ils sont 200 millions. En Suède une personne sur deux vit seule. Qu’en est-il de la France ?

En France cela change tout le temps du fait des instituts de sondage notamment, selon comme le célibat est défini. Il y a d’ailleurs l’exemple du formulaire des impôts, où les cases à cocher à propos de cette information évoluent. C’est donc très compliqué de le mesurer aujourd’hui. Aux États-Unis ils ont plus d’outils de mesure. Mais en France le célibat a dû augmenter de 5% en 10 ans.

Le souci de performance individuelle crée énormément de pression.

Penses-tu que la peur de l’engagement, et toutes les problématiques dont on parle autour du couple, laissent paraître les choses plus compliquées qu’elles ne le sont ? N’a-t-on pas perdu trop d’insouciance pour être à même de rencontrer l’autre d’une manière plus détendue et plus saine ?

C’est vrai qu’il y a aujourd’hui une pression sur le couple qui est énorme. Le couple n’est plus qu’un couple, c’est aussi une valeur ajoutée. C’était d’ailleurs déjà le cas du temps de nos grands-parents, car on le voyait aussi d’un point de vue financier. On se mariait avec le voisin ou avec le cousin, il fallait que ça soit quelqu’un du même milieu.

Aujourd’hui on a un choix incommensurable, et c’est vraiment la grande différence par rapport à nos grands-parents. Mais l’autre peut partir avec quelqu’un d’autre à tout moment, et nous aussi : il y a donc une espèce d’insécurité énorme.

En plus de cela il faut que cette personne te fasse te réaliser, comme dans certains couples « parfaits » qu’on nous vend dans les médias, du genre de George Clooney et Amal.
On te dit qu’il faut que tu trouves quelqu’un qui fasse que tu t’épanouisses, ou qui comprenne tes failles et te fasse grandir. C’est donc encore pire, on cherche quelqu’un pour s’améliorer soi. Il y a donc un souci de performance individuelle, et c’est vrai énormément de pression.

Clooney et Amal
"Les médias nous vendent des couples parfaits ce qui ajoute encore plus de pression."

Toi et ta coréalisatrice du documentaire « Le cœur au Centre », Mathilde Terrier, disiez que « notre génération ne sait plus aimer. » Beaucoup de célibataires n’ont pas le mode d’emploi de ces nouvelles règles de l’amour. Quels conseils donnerais-tu à ces personnes qui se sentent un peu perdues aujourd’hui ?

Il y a un conseil que j’adore, qui vient des Etats-Unis, de toutes ces nouvelles agences matrimoniales qui se développent là-bas pour aider les célibataires justement. C’est déjà de faire un premier rendez-vous où on ne boit pas, où on va plutôt marcher ou faire une activité en commun. Avec une activité on pourra mieux se concentrer sur qui on a en face de soi. Toutes les premières étapes du « dating » il faut les faire en étant détendu et sans vouloir sauter les étapes. Je dis toujours qu’il est bien de prendre un peu le temps de découvrir qui est l’autre personne, surtout si vous ne la connaissez pas du tout et que vous l’avez rencontrée sur Internet.

Avec tout le choix que l’on a et qui peut nous faire tourner la tête, il faudrait peut-être essayer de se restreindre et de faire une espèce de tri au début, pour ne pas essayer d’avoir une histoire avec n’importe qui. C’est compliqué d’avoir des histoires avec tout le monde, et on risque vite d’être déçu, de se dire qu’il y a là quelqu’un d’autre qui a l’air plus marrant ou plus quelque chose. C’est pour cela qu’il faut passer plus de temps au début sans trop juger l’autre, sinon on va avoir tendance trop rationaliser, même pour des broutilles complètement folles.

Mes conseils seraient donc de 1- passer du temps avec la personne, et 2- ne pas trop rationaliser au départ.

On a tendance à trop juger et trop rationaliser.

Nous n’avons jamais eu autant d’outils et de moyens technologiques pour se rencontrer, mais beaucoup de gens ne se sont jamais autant renfermés sur eux-mêmes, au point de ne jamais s’être sentis aussi seuls.
Ce choix énorme qui s’offre à nous – tu parles notamment du syndrome Starbucks (des dizaines de choix possibles pour un café), ou de la recherche de l’être parfait comme de la recherche de Frankenstein – entraîne paradoxalement indécision et insatisfaction. Penses-tu que les effets pervers de cette offre incroyable sont une explication à la hausse du célibat ?

Je pense que ce sont les effets pervers de notre liberté, qui doit se gagner. Tant mieux si on a le choix. Je ne pense pas qu’il était plus facile à l’époque de savoir qu’on allait se marier avec le voisin. C’était peut-être plus facile dans le sens où on passait moins de temps à chercher, mais on n’était pas forcément heureux avec cette personne qu’on n’avait pas forcément choisie.

Les choses étaient plus raisonnées dans le passé, or aujourd’hui on a aussi remis de la passion dans notre vie, on cherche le grand amour, la personne qui nous fait vibrer. C’est donc quand même génial d’avoir ce choix. Mais c’est aussi un poids dans le sens où il faut se responsabiliser par rapport à ce choix, car choisir c’est très dur.
Il faut simplement avoir conscience de tous ces mécanismes extérieurs et pervers qu’on a mis en place pour faire nos choix, il faut les comprendre et les maîtriser pour pouvoir choisir la meilleure personne.

Je pense que les gens qui mettent plus de temps à choisir, choisissent aussi parfois mieux. Et une fois qu’on s’est arrêté sur une personne, on a aussi toute l’expérience de ce qu’on a vécu avant.

Choisir est de plus en plus difficile, mais il faut se responsabiliser par rapport à ce choix.

Choix de personnes

A force de ne plus savoir où donner de la tête, certaines personnes n’ont pas toujours les bons réflexes face à ce choix, et peuvent même tomber dans une forme de dépression.

Il y a toujours ce risque d’être trompé. Quand on voit la vie comme une consommation permanente, on cherche le plaisir, mais le plaisir est très instantané. Une personne peut nous donner du plaisir à l’instant T, et puis le lendemain ça ne va pas marcher. La personne qui va nous donner le plus de plaisir, n’est pas forcément la meilleure pour être en couple avec.

Il faut se détacher d’une quête de satisfaction permanente, qui est devenue le but de notre société. Aujourd’hui quand on achète un produit on a envie d’être satisfait. Si on applique cela à ses partenaires, ça devient plus compliqué, y compris pour le partenaire qui n’est pas non plus un produit. Si les objectifs ne sont pas les mêmes, par exemple une quête personnelle de satisfaction d’un côté et l’envie de fonder une famille de l’autre, cela ne marchera pas non plus. C’est pour ça qu’il est important de communiquer.

En parlant de produit, on peut rapprocher ce mot du phénomène du « swipe » sur les applications mobiles du genre de Tinder notamment. Cette activité machinale peur même aller jusqu’à l’écœurement : en une heure on peut passer jusqu’à 700 profils ou photos en revue. L’autre devient un produit et l’effet pervers de ce zapping est de déshumaniser l’autre.

On reste des êtres humains, mais le problème vient plus du choix que du swipe selon moi. Je pense qu’on a digéré toutes ces choses qui viennent d’Internet. C’est vrai que ce choix est cristallisé sur les applications de rencontres, mais c’est pareil quand tu sors dans des bars. Si tu sors tous les soirs de la semaine, ça va être plus facile pour toi de rencontrer plus de gens.

Le problème des portables est un problème plus général, celui d’avoir Internet sur soi toute la journée. On a ce supermarché dans la poche toute la journée, et on aura du coup tendance à se comporter comme dans un supermarché. Et on tombe parfois dans des « tunnels ». Quand je suis dans le métro, je peux regarder 60 sites de décoration pour m’acheter un vase, et finalement n’en acheter aucun parce qu’il est trop dur à la fin de choisir. C’est la même chose sur les applications de rencontres ou pour choisir son partenaire.

Swipe sur smartphone
"Sur nos téléphones, on se comporte comme dans un supermarché."

Avec tellement de choix mais qui ne débouche souvent sur rien, cela peut aussi entraîner une perte de confiance en soi.

L’énorme problème c’est surtout qu’il y a aujourd’hui beaucoup de « ghosting » sur ces applications, et cela devient de plus en plus dur d’y rencontrer quelqu’un. On a tellement de choix qu’on n’arrive plus du tout à choisir, et on préfère ignorer les gens. Le non-choix devient la norme. C’est presque une nouvelle forme d’amour.

Cela peut justement affecter encore plus. Comment ne plus avoir peur du rejet, comment réagir face à lui ?

Il faut comprendre les règles du jeu. C’est un jeu un peu économique. C’est la même chose que quand on envoie des CV. Si tu envoies des CV, que tu attends que les gens te répondent, et que tu en souffres pendant 6 mois s’ils ne le font pas, ça ne va pas.

Aujourd’hui il faut s’adapter à une société qui est dans l’ultra-rapidité. Il ne faut donc surtout pas mettre d’émotionnel dans un rejet. Et ça c’est très dur. Notre génération doit apprendre ça. Il faut apprendre de nos ruptures, il faut apprendre de nos rejets. Même si c’est plus facile à dire, il faut se protéger de tout cela.

Aux États-Unis comme ils ont des règles très strictes pour les rencontres. Ce sont eux qui nous ont exporté toutes ces apps, et ils sont quelque part plus protégés, parce qu’ils ont assimilé ces règles dans leur culture.

Notre génération doit apprendre à ne pas mettre d'émotionnel dans le rejet.

Quelles sont ces règles ?

En général au premier rendez-vous on ne s’embrasse pas, on s’embrasse au deuxième. On a des effleurements sensuels au troisième ou quatrième rendez-vous. Si ça ne marche pas au bout du cinquième rendez-vous, on ne se voit plus, et on ne se dit pas pourquoi.

Nous nous n’avons pas forcément ces règles. En France on est passionnel, très « grand amour », façon Edith Piaf, il faut être tout de suite en couple. On a donc du mal à gérer quand on n’est pas vraiment en couple avec quelqu’un et qu’on ne sait pas sur quel pied danser. Aux États-Unis ils voient plusieurs personnes pendant plusieurs mois avant de s’engager. C’est dans leur culture. Encore une fois c’est la même chose quand tu envoies plusieurs CV à plusieurs employeurs, tu ne mets pas tous tes œufs dans le même panier. Mais il faut comprendre ces règles dès le début pour moins souffrir.

Grandir sur le plan de la sensibilité émotionnelle est d’ailleurs un besoin même dans la vie de tous les jours.

Le rejet, la rupture et le refus, c’est très très dur. Mais il ne faut pas les voir comme quelque chose contre soi-même, juste comme un mauvais moment. C’est comme quand on bosse mal avec quelqu’un et qu’on ne comprends pas, alors que c’est juste avec cette personne que ça ne marche pas.

A travers les réseaux sociaux on a créé un système de valorisation de l'individu qui est très néfaste.

Qu’en est-il du paradoxe des gens qui se sentent de plus en plus seuls, malgré tous les moyens technologiques de notre époque ?

Il y a de plus en plus de gens qui vivent seuls c’est vrai, c’est constaté. Quelque part c’est donc normal qu’ils se sentent plus seuls.
Mais il y aussi une solitude subjective, une sensation de solitude. Tu peux être beau ou belle et entouré par des milliards d’amis, une famille, et quand même te sentir seul. C’est quelque chose qui a énormément augmenté en 10 ans.

C’est aussi l’effet pervers des réseaux sociaux, où on pense qu’avoir des amis est bénéfique pour la société, et que si tu n’as pas un million d’amis sur ta page Instagram, ou moins d’amis que les autres, tu vas te sentir inférieur. Sans parler de ceux qui génèrent des revenus plus ils ont de fans. On a créé un système de valorisation de l’individu à travers son nombre d’amis, ce qui est très néfaste, et qui fait que beaucoup de personnes peuvent se sentir plus seuls qu’en réalité à cause de ça.

Réseaux sociaux

On entend beaucoup parler de slow dating en ce moment, au même titre que le slow food ou même le slow management. Penses-tu que cette volonté de prendre un peu mieux son temps avec la vie peut perdurer après la pandémie ?

Judith Duportail a je crois fait une étude il n’y a pas longtemps, qui a démontré qu’il n’y a finalement pas plus de slow dating à cause du coronavirus, même si on pouvait le penser. Les gens se donnent finalement toujours des rendez-vous, sauf qu’ils le font chez eux au lieu d’un bar.
Mais c’est vrai que j’ai aussi vu des gens qui s’engageaient plus facilement à cause de la menace de cette crise, parce qu’ils se disaient que ce mec ou cette fille c’était ça ou rien avant de devoir passer trois mois tout seul. C’est un peu triste d’ailleurs. Mais dans certains cas ça a bien marché, des gens se sont un peu forcés à s’engager, et du coup ils se sont moins posés de questions.

Après je ne pense pas que l’on va être dans du slow dating. J’ai bien peur au contraire que quand on va sortir du confinement et de tout ça, tout va reprendre de manière extrêmement folle. La société va s’accélérer puissance mille, pour rattraper tout ce temps perdu. Dans le fond ça ne sera pas mal, les gens vont sortir et faire plein de rencontres, tant mieux.
Peut-être qu’ils auront aussi été marqués par cette solitude, surtout en étant confiné, et que cela va leur permettre de réfléchir sur eux-mêmes. Peut-être qu’ils vont être moins exigeants, ce qui serait peut-être bien aussi.

Rencontre avec masques anti-covid
"Avec la menace de cette crise, plus de gens se sont poussés à s'engager."

En dehors du coronavirus et de cette période difficile pour tout le monde, comment faut-il vivre le célibat aujourd’hui selon toi ?

Pour moi déjà il ne faut pas utiliser ce mot qui est horrible et triste. Si tu es célibataire, ne le dis jamais. Tu peux dire que tu es sauvage par exemple (rires). Et aussi en profiter pour faire toutes les choses que tu ne pourrais pas faire si tu étais en couple. Il y a énormément de couples ou de personnes avec des enfants qui rêvent d’être à la place des célibataires, on ne s’en rend même pas compte. Être seul(e) c’est une énorme liberté, c’est aussi une chance énorme. Tout ce temps à disposition pour toi seul, tu le regretteras plus tard, donc il faut l’utiliser au maximum. Par exemple pour apprendre une langue ou à jouer d’un instrument.

Il ne faut jamais non plus se dire qu’on va rester célibataire toute sa vie, si ce n’est pas quelque chose dont on a envie. C’est juste une période, et quelle que soit sa durée ce n’est pas grave. Profitez-en pour faire plein de rencontres. Toute rencontre est intéressante. Même si une rencontre est ratée, même si cela ne dure pas, ce n’est pas grave. Il ne faut pas voir cela comme un échec personnel, mais comme une expérience.

Voyage et détente en solo
"Etre seul(e) est une énorme liberté. Il faut profiter de tout ce temps pour soi."

C’est d’autant plus important qu’on dit aussi qu’il faut s’accomplir soi-même et être bien dans sa peau, pour être dans le bon état d’esprit pour des rencontres. Les activités vont aussi provoquer des rencontres, ce qui en fait un cercle vertueux. Ou comment bien vivre notre côté sauvage…

Après c’est vrai que c’est toujours plus facile à dire qu’à faire, surtout quand on se réveille huit week-ends de suite tout(e) seul(e) dans Paris où il fait gris, sous la pluie, et en plein confinement avec aucun ami qu’on ne puisse aller voir.

Mais il faut quand même en profiter pour garder un bon état d’esprit, se dire que si on n’est pas en couple c’est qu’il y a une raison. Peut-être que cette raison c’est qu’on n’a pas croisé une personne qui nous vaut. Je ne pense pas qu’on puisse croiser des milliards de gens avec qui on puisse être en couple dans une vie. Il faut donc être alerte et présent le jour où on croise ces quelques bonnes personnes pour pouvoir les identifier, et foncer.

En revanche si tu es tout le temps en train de te dire que tu es un(e) raté(e) et de te rabaisser, ce sera plus difficile d’aller vers les autres.

Penses-tu que le Single’s day, le « 11/11 », fête des célibataires ayant lieu le 11 novembre à l’étranger, pourrait s’imposer en France ?

Ça arrive déjà. Ça vient de la Chine et c’est arrivé très vite là-bas car c’est vrai qu’il y a énormément de célibataires dans ce pays. Aux États-Unis ce n’est pas vraiment vécu de la même manière. Mais vu que le Black Friday est arrivé en France en 10 ans, oui c’est possible que ce Single’s day arrive aussi chez nous, même si on est une société latine, plus romantique, qui met encore le couple au-dessus de tout.

Single's day 11/11

On ressent une certaine nostalgie dans certains de tes constats. Reste-tu optimiste pour le futur ? Comment vois-tu l’évolution des relations hommes-femmes ?

Je ne suis pas tant nostalgique. On a tous une espèce de nostalgie, mais il faut bien se dire qu’à l’époque de nos grands-parents ce n’était pas forcément facile pour eux dans plein d’autres domaines, et que les gens ne rencontraient pas plus de gens, c’est faux de le dire. Quand tu lis les livres de Flaubert ou du 18è siècle dans les campagnes, comme Madame Bovary, il n’y avait pas le choix entre 40 000 prétendants dans le village.

On a donc une chance exceptionnelle d’avoir tous ces outils pour pouvoir se rencontrer aujourd’hui, de pouvoir expérimenter plus. Je suis donc extrêmement optimiste, nous sommes dans une époque formidable dans beaucoup de domaines. Il faut donc absolument se responsabiliser par rapport à ce choix et à cette liberté que l’on a, ne pas la subir, mais vraiment la prendre comme une chance.

On a une chance exceptionnelle d'avoir tous ces outils pour pouvoir se rencontrer aujourd’hui.

Selon toi, à quoi ressembleront les célibataires dans 10, 20 ou 30 ans ?

(rires) Déjà je pense qu’ils seront majoritaires dans la société, clairement.
Je pense qu’il faut quand même faire attention à ne pas devenir trop déconnecté des autres. Il y a certes toujours ce mirage du film Her, où on tombe amoureux des robots… Je ne sais pas si les choses seront comme ça. Il y aura forcément une tendance à se réfugier de plus en plus chez soi, parce que c’est ce qu’on est en train d’observer globalement, parce qu’on a inventé tous ces outils qui font qu’on peut rester chez nous et tout faire depuis nos appareils. Mais il faut garder un esprit communautaire. Je ne sais pas si on y arrivera.

Dans certains pays où les gens sont très seuls et où la technologie est très développée comme au Japon, on créé en effet des robots si réalistes que les gens préfèrent rester tranquilles et se passer de quelqu’un d’autre, ce qui est assez triste.

Oui, il est toujours plus difficile d’interagir avec un être humain qu’avec un robot. Mais c’est tellement plus enrichissant. Quand tu interagis avec ton ordinateur, il ne va rien te dire donc tu seras toujours content, alors que la confrontation avec l’autre peut parfois être dure en cas de dispute, de rejet… Je pense qu’il faut vraiment apprendre à gérer ces rejets pour ne pas se laisser miner par eux.

En Suède ils font de grands immeubles pour les célibataires, des communautés, où tout le monde peut laver son linge ensemble par exemple. Peut-être que c’est une des solutions. En tout cas il faut réinjecter l’esprit de communauté. Il ne faut pas qu’on devienne tous infréquentables les uns avec les autres, que l’on devienne trop narcissique. Quand on a un écran toute la journée en face de soi, on a tendance à s’enfermer un peu dans notre bulle, et à ne pas prendre en compte la bulle des autres, et à s’engluer.

Si plus de gens avaient conscience de tout cela, cela résoudrait pas mal de choses…

En tout cas si on peut comprendre nos névroses, c’est déjà bien. Parce qu’on a tous les mêmes malheureusement. (rires)

Fred

Célibataire, 42 ans, curieux et touche à tout. Passionné par les voyages, le sport et la gastronomie.

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